


Mark Klein est un des scientifiques leaders du projet Climate Collaboratorium (Collaboratorium du climat) du MIT (Massachusetts Institute of Technology, institut de technologie du Massachusetts) aux Etats-Unis. Depuis plus d’un quart de siècle il étudie l’intelligence collective des êtres humains. Interview
- Climats : L’intelligence collective n’est pas parfaite et peut amener à des erreurs graves, comme ce fut le cas dans la catastrophe de la fusée Challenger. La décision collective peut même être moins avisée que celle de l’individu. Comment ceci est-il possible ?
De façon globale, ce que l’on observe est l’échec de l’intelligence collective face à cette thématique !
C’est pour cette raison que nous sommes en train de développer au MIT (Massachussetts Institute of Technology, institut de technologie du Massachusetts) un nouveau type de discussions et de forums hautement sophistiqués sur Internet. Appelé Climate Collaboratorium, ils permettront d’améliorer la qualité de prise de décision en premier lieu en ce qui concerne le changement climatique. L’idée est d’utiliser la technologie informatique pour exploiter l’intelligence collective, c'est-à-dire créer des canaux permettant l’accumulation et la synergie des gigantesques ressources humaines et technologiques à des fins décisionnelles. En clair, il va permettre à des personnes de tous horizons de faire état de leur point de vue. Ces derniers ainsi que les arguments qui les sous-tendent vont pouvoir être comparés. Par ce moyen nous allons avoir un éventail d’opinions plus important que nulle part ailleurs.
Nous venons de terminer un déploiement de ce système dans la réalité afin de le tester. Cette expérience c’est déroulée à Zurich en Suisse. Nous avons travaillé avec 300 étudiants répartis en 3 groupes. Un utilisa le Collaboratorium tandis que les deux autres se servirent d’autres outils d’intelligence collective. Nous analysons actuellement les résultats.
Le Collaboratorium nous permettra d’aller au-delà de ce que propose le GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat), en répertoriant des milliers et des milliers d’idées.
Le but est à échéance de créer une démocratie électronique qui permettrait de dépasser nos moyens actuels proposant au citoyen seulement de voter oui ou non par rapport à un petit nombre de choix simplifiés. Ce système rendrait possible des décisions collectives basées sur le raisonnement pour des questions complexes.
- C. : Le système démocratique est-il le plus approprié pour traiter la question du changement climatique ?
- M. K. : Oui, la démocratie est favorable pour appréhender des problèmes complexes. La raison en est qu’elle met en jeu une multitude de cerveaux dans la considération d’une thématique, ce qui n’est pas le cas avec les systèmes hiérarchiques. Par contre pour la résolution de problématiques simples, mais de grande ampleur, des monarchies ou des dictatures sont plus efficaces.
- C. : Le Collaboratorium pourrait-il devenir dérangeant suivant les conclusions auxquelles il arrive ?
- M. K. : Oui, il y a des personnes qui bénéficient du fait que des questions ne sont pas posées. Ceci leur permet de limiter la discussion aux options qu’ils préfèrent. Le Collaboratorium va entrer en conflit direct avec eux.
- C.: Les fourmis ont une grande intelligence collective. On parle même en biologie de super -organisme pour désigner les différentes fourmis d’un nid interagissant. Sont-elles collectivement plus intelligentes que les êtres humains ?
-M. K. : Oui. Une grande intelligence collective signifie que la collectivité est beaucoup plus intelligente que les individus qui la composent. Chez ces insectes la colonie est remarquablement intelligente, ce qui n’est pas le cas des individus pris séparément. Ceci provient de règles simples mais bien pensées que ces arthropodes appliquent au niveau de leurs interactions. Chez les êtres humains c’est le contraire ; l’homme est intelligent tandis que la société est globalement stupide. Par rapport à ceci, le MIT est en train de mettre au point des mesures de quotient intellectuel collectif pour le cerveau global, comme on le fait avec le Q. I. (Quotient Intellectuel) pour les cerveaux individuels. Ceci devrait à échéance permettre d’utiliser des organisations efficaces suivant le type de question que l’on veut traiter et des ressources disponibles. Un tel développement s’appliquera évidemment aussi à la problématique du changement climatique.